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Un regard biaisé sur Gustave Caillebotte, au musée d’Orsay

Des prêts exceptionnels, un accrochage remarquable et un malaise persistant : l’exposition « Caillebotte. Peindre les hommes », organisée à l’occasion du 130e anniversaire de la mort de Gustave Caillebotte (1848-1894) et surtout de l’entrée dans les collections du Musée d’Orsay, grâce au mécénat du Groupe LVMH, de La Partie de bateau, une des toiles les plus célèbres du peintre, souffre d’un regard biaisé.
L’Amérique a acquis des œuvres de Caillebotte alors que nous n’en voulions pas, elle a démontré avant tout le monde son importance dans l’art prémoderne quand nous le prenions encore pour un sympathique dilettante, et l’exposition actuelle circulera ensuite au Paul Getty Museum de Los Angeles puis à l’Art Institute de Chicago. C’est aussi aux Etats-Unis que, dans deux expositions à Washington et Fort Worth en 2014 et 2015, furent posées au grand public les premières questions liées à la sexualité supposée du peintre. Il n’est donc pas surprenant qu’elle ait été conçue, jusque dans sa version parisienne, au prisme des études de genre, qui, si elles offrent souvent un éclairage nouveau, au même titre que la sociologie, l’ethnologie ou la psychanalyse, ne sont qu’un des outils de l’histoire de l’art. Conseiller scientifique du Musée d’Orsay, l’historien d’art Stéphane Guégan a, dans une très fouillée monographie consacrée à Caillebotte (Gustave Caillebotte. Peintre des extrêmes, Hazan, 2021), clairement posé le problème : « Il est des cas où l’interprétation des formes, ivre d’elle-même, n’a plus de limites », écrit-il. On verra que, dans la présente exposition, elles sont souvent franchies.
Cela a conduit notamment à renoncer à présenter une rétrospective : la dernière – qui fut aussi la première, preuve du manque d’intérêt que lui portaient les conservateurs et historiens d’art français – organisée à Paris ayant eu lieu en 1994, cela n’aurait pourtant pas été inutile. Celle-ci en effet nous prive de pans entiers de l’œuvre, surtout de ses natures mortes incroyables de culot ou de l’étonnante série de fleurs réalisée à la fin de sa vie, mais dont les pistils n’étaient sans doute pas assez suggestifs, ou contrariaient au contraire la démonstration voulue par les commissaires…
L’accrochage tente de concilier chronologie et parcours thématique, ce qui est pour le moins acrobatique. Il est cependant clair et aéré, un petit exploit quand il s’agit de caser les quelque 140 œuvres et objets de l’exposition : 65 peintures, une trentaine de dessins préparatoires – leur accrochage à proximité des tableaux qu’ils ont aidé à élaborer est une des joies de la présentation –, des photographies, des costumes d’époque – dont on aurait pu se passer –, et des documents qu’il faut prendre le temps de consulter, ne serait-ce que pour constater qu’avec son frère Martial, Gustave Caillebotte fut un des grands collectionneurs de timbres-poste de son temps, mais aussi un régatier fameux et un constructeur naval accompli.
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